Décoration et thème

Décoration et thème

Souvenir d'enfance

La fierté de mon enfance

 

C’était un homme extraordinaire… Il possédait un royaume d’amour et de bonne volonté. Le travail représentait sa destinée. Cette besogne faisait battre son cœur. L’agriculture et la nature étaient ses seules préoccupations. La journée, il allait à la ferme pour soigner les animaux ou labourer les champs. Son temps libre était réservé à l’entretien de son potager. Je me demandais bien comment il faisait pour évacuer autant d’énergie. Il ne paraissait jamais fatigué. Il était âgé, pourtant, à lui seul, il symbolisait la jeunesse. Bien que sa femme l’aimait, elle ne comprenait pas que son minime salaire soit la récompense d’un tel acharnement. Même s’ils se disputaient fréquemment, il y avait dans ce foyer un amour hors norme.

Mon grand-père était embauché et logé par le patron de l’exploitation agricole du village. Ce dernier était un véritable tyran, il était le maître de la ferme. Il s’agissait d’un homme qui ne faisait pas dans le social, seule la rentabilité l’intéressait. Une main d’œuvre sur exploitée financièrement, pour une activité sur estimée était la devise de ce bourreau. La santé et le bien-être de ces hommes, il n’y songea pas une seule fois. Il considérait ses employés tels des esclaves. Le logement qu’il mettait si généreusement à disposition de mes grands-parents était un privilège, certes, mais  cet avantage ne compensait pas les efforts alloués.

Mes aïeuls résidaient donc, dans une maisonnette attenante à la ferme. Cela permettait, au propriétaire d’avoir toujours une main prise sur mon grand-père. Cela ne plaisait guère à ma grand-mère, même si malgré tout, cette situation leur permettait de vivre, leur intimité s’en trouvait délaissée.

Moi, j’adorais rendre visite à mes grands-parents. Ma grand-mère me réservait toujours de bons petits plats, de délicieuses pâtisseries, et certains jours on repartait avec des légumes frais que celle-ci allait récolter sous nos yeux, dans le jardin. Tout deux se donnaient à cœur joie d’exploiter  ce potager. Mon grand-père était fier de nous montrer les nouvelles pousses, ou de nous expliquer sa manière bien à lui de retourner la terre. Ordinairement ma grand-mère rouspétait car cela entraînait du travail supplémentaire. Elle ne pouvait pas se reposer, et s’inquiétait davantage sur la santé de son mari, qui avait encore moins de temps pour se détendre. Il faut dire que ce dernier s’y donnait corps et âmes jusqu’à en tirer une certaine satisfaction.

Parfois lorsque nous nous rendions chez eux, mémé était seule et, en parlant de son époux, nous disait « il doit être dans le champs à betteraves ». Alors, maman et moi partions à la recherche de pépé. A mon plus grand étonnement, et malgré la densité de ces champs, on parvenait à le retrouver au volant de son tracteur. S’il avait bien travaillé, il nous emmenait dans son bolide pour une promenade quelque peu campagnarde ! Je me souviens d’un jour d’été caniculaire. Papa, maman et moi allions à sa rencontre dans les pâturages. Nous avions terriblement chaud. Mais lui, qui au sein de sa moissonneuse-batteuse s’exécutait, tenait une forme resplendissante. Ce jour là, papa a découvert que les tracteurs d’aujourd’hui étaient équipés de climatisation. Vous pensez bien que le grand-père était bien fier dans le sien. Il était bien mieux loti dans ce dernier que dans son fauteuil à côté des fourneaux de mémé.

Parfois, nous arrivions en début d’après-midi. Mon grand-père était assis près du four à charbon, fumant sa gitane et sirotant son petit verre de vin rouge (vous savez le vin de table en brique ou dans des bouteilles en plastique). Il regardait « la petite maison dans la prairie ». Je favorisais cet instant, car je m’installais à mon tour pour suivre avec lui cette série télévisée. Ces épisodes ne m’ont jamais intéressé, mais le fait de les visualiser à présent m’inonde de souvenirs, de moments si agréables en famille. Pour accompagner cet instant de bonheur, mémé avait très certainement préparé ses beignets aux pommes, dont elle seule avait le secret de fabrication. Ils étaient bons !!! Elle en préparait des  spéciaux pour maman, car cette dernière refusait toujours d’en manger. Ma grand-mère lui disait alors : « c’est parce que je mets de la pomme dedans ? Alors assieds toi, je t’en fais des natures » De son air agacé, elle insinuait qu’elle devait cuisiner davantage uniquement pour maman. Toutefois, nous savions parfaitement que préparer des beignets spécialement pour sa fille l’enchantait. A vrai dire, je me suis toujours demandée si maman n’aimait vraiment pas la pomme dans les beignets… Je pense plutôt qu’elle n’appréciait pas le rhum que mémé utilisait, mais pour ne pas la vexer elle entrait dans son jeu.

D’autre fois, quand nous leur rendîmes visite, pépé avait déjà quitté le foyer pour se rendre utile à la ferme. Alors, ma grand-mère se trouvait seule dans sa cuisine qui offrait une vue exclusive sur la cour de la ferme. Elle se cachait derrière sa fenêtre pour observer les moindres faits et gestes du patron. C’était une véritable pièce de théâtre. Elle qualifiait ce tyran de tous les noms : «  il va tuer ton père ! Il s’en fiche que ton père soit fatigué ou qu’il est mal au dos !… » Maman savait de quoi elle parlait car, petite, elle avait, elle aussi, mis ses petits bras et ses petites jambes au service de ce dictateur. Le butin qu’elle gagnait alors, alimentait directement la bourse de la famille : pas question de garder cet argent pour ses plaisirs personnels.

Les jours où mémé se mettait en colère, je n’avais pas très envie de rester. Il y avait deux raisons à cela : mon pépé n’était pas là et quand ma grand-mère se fâchait, ce n’était pas un moment de rigolade, mieux valait se tenir à carreaux ! Cependant elle ne nous laissait pas partir si facilement. Elle en avait des choses sur le cœur et hors de question que sa fille parte sans entendre le fond de ses pensées. Elle nous retenait grâce à la pâtisserie du jour qu’elle avait préparée. Malgré cela mémé n’était pas méchante. Elle criait juste trop fort, même maman parfois lui disait : « Parle moi moins fort papa pourrait entendre, il est dans la cour ! » C’était chose à ne pas dire, car ma grand-mère était capable d’ouvrir la fenêtre pour qu’il entende davantage. Toutefois, elle savait, tout comme nous, que sans ce travail à la ferme, pépé ne pourrait pas nourrir sa famille. Ce labeur, si pénible soit-il, leur permettait de garder un mode de vie convenable, même s’il était semblable à une caricature des conditions de la seconde guerre mondiale !!

Mon grand-père représentait beaucoup pour moi. Petit nous avons tous une idole, un modèle que l’on souhaite suivre. Le mien, c’était lui. Il donnait envie de travailler. Et pourtant jamais il ne me faisait la morale comme le font les grands-parents « Travaille bien à l’école pour avoir un beau métier ». Non ! Mon grand-père ne disait jamais rien sur mes résultats scolaires, il ne récompensait pas une bonne note et ne réprimandait pas un mauvais bulletin. Il suffisait de le regarder pour s’apercevoir s’il était content ou s’il était triste. Il me donnait un amour extraordinaire. Comme quoi, et c’est magnifique de découvrir cela lorsque l’on est enfant, il n’y a pas besoin de couvrir de cadeaux, de remplir la tirelire ou de passer par mille et une ruses pour aimer et être aimé. Cet amour si naturel et sans artifice, c’est mon grand-père qui me l’a inculqué, très certainement sans s’en apercevoir, car entre nous deux  les discours interminables étaient inutiles.

Malheureusement la vie est faite ainsi, et toutes les bonnes choses se terminent toujours trop tôt. Son patron l’a « gentiment remercié », lui laissant comme seul choix de prendre sa retraite. Evidemment, il avait largement atteint l’âge. Mais au fond de lui, je pense qu’il n’avait nullement envisagé ce départ.

 Au moment où j’écris, mes souvenirs restent assez évasifs. Je me rappelle que mes grands-parents ont du quitté leur résidence située à la campagne, pour emménager dans une maison en zone urbaine. Effectivement, en possession d’infimes économies, ils ne pouvaient pas se permettre d’investir dans une résidence à la campagne. Alors avec le soutien de mes parents, ils purent acheter une petite maison de ville dans laquelle beaucoup de travaux étaient à prévoir. Il est vrai que leur confort jusqu’alors n’était pas exceptionnel, mais mes proches voulaient qu’ils se sentent à leur aise. Il fallait que mes aïeuls trouvent de nouveaux repères et s’adaptent à un nouveau mode de vie. Chose difficile dans la vie courante et encore plus pour des personnes âgées. Mon père, qui avait la passion du bricolage, mis alors les bouchées doubles pour que cette nouvelle maison représente le cocon familial. Ainsi, tout les soirs, toutes les fins de semaine, il prenait sa caisse à outils et partait pour rénover l’électricité, la plomberie de cette future demeure qui deviendrait la résidence de nos ancêtres. J’accompagnais papa dans ces séances de réhabilitation. Et dans la tête d’une enfant de neuf ans, il était difficile de concevoir le déménagement de mes grands-parents. Ces souvenirs à la campagne, les promenades à tracteur allaient être définitivement perdus. Mais le pire n’était pas apparu.

Pour moi, pépé était comme ces créatures de dessins animés : il était immortel. Il garderait éternellement une forme olympique. Je ne comprends pas pourquoi ils l’ont conduit dans cet hôpital. Pour preuve, les souvenirs qui me viennent en mémoire restent son refus de consulter un médecin. Maman se chargeait de l’amener auprès de grands spécialistes pour lui faire exécuter des examens médicaux. A cet instant, la présence de mon grand-père me manquait. La tristesse commençait à emplir mon cœur. A cet âge enfantin, je ne comprenais pas exactement la tournure des évènements. Pépé ne pourrait pas revenir chez lui, il était beaucoup trop malade et devait rester dans cette chambre d’hôpital pour bénéficier de tous les soins nécessaires. Il m’était interdit de lui rendre visite. Parfois, même maman, ne pouvait pas se rendre à son chevet.

C’est étrange, lui qui n’avait jamais mis les pieds chez un médecin, qui soignait sa toux avec ses gitanes et sa fièvre avec son petit verre de rouge, aujourd’hui il n’avait plus le droit de fumer, plus le droit de boire et était alimenté par un tuyau. Je voulais le voir, je voulais me mettre près de lui et regarder un nouvel épisode de « La petite maison dans la prairie ». Je voulais faire un tour de tracteur avec lui. A cet instant, j’ai pris conscience que tous ces bons moments ne serviront qu’à alimenter mes souvenirs d’enfance.

Il était âgé c’est vrai, mais, il avait la force, il avait la volonté, il voulait voir du monde, il voulait travailler. En le privant de son plaisir de la terre, le patron lui avait mis un pied dans la tombe. Cette personne dure comme un roc, n’eut même pas l’audace de se présenter à ses obsèques.

Ce souvenir si marquant reste gravé dans le cœur d’une jeune fille. A neuf ans, on découvre un amour prodigieux. Mais à dix ans, la maladie et la mort restent difficilement compréhensives. Est-ce possible que ce pépé qui m’a appris l’amour, ne soit plus de ce monde, sur qui vais-je me reposer, sur qui vais-je prendre l’exemple ? C’est en le gardant dans mon cœur que je ne l’oublierai pas et c’est en le gardant dans ma mémoire qu’il restera près de moi.

 



07/04/2011
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