Décoration et thème

Décoration et thème

Existence inutile

Existence inutile

 

Il est neuf heures, le soleil est déjà haut. Au volant de son Alfa Roméo, elle se rend au travail situé  à quelques kilomètres de Paris. Son agence de voyages est implantée dans une zone touristique, la clientèle est au rendez-vous pour les réservations. Elle permet à de nombreux couples et de nombreuses familles de partir pour des destinations paradisiaques. Pour elle, le paradis elle l’a déjà trouvé. Elle réside dans un appartement luxueux. Elle prête une attention particulière à sa décoration intérieure. Le reflet authentique de sa personnalité, très simple et raffinée. Ses week-ends sont réservés aux visites de musées. De temps en temps, elle s’offre un repos à la campagne. Entre amis ou seule, elle loue une chambre d’hôte et profite de quelques jours pour se distraire. Ses congés annuels sont rarement délaissés. Elle profite des opportunités commerciales de son agence pour découvrir de nouveaux horizons. Elle a déjà visité la Nouvelle-Calédonie, l’Autriche, l’Irlande. Elle compte bien perdurer ses conquêtes. Elle est heureuse. Les soucis d’argent, elle ne connaît pas. Bien au contraire, elle revendique la misère et s’est investie personnellement pour une cause humanitaire. Elle aime sa vie. Son entourage est exclusivement composé de personnes hautement placées. Il lui est inutile de quémander, elle a toujours le soutien de ses parents. Elle a grandi dans un nid douillet. Elle poursuit son existence dans un cocon. Ses parents se plient en quatre pour lui apporter tout le confort requis. Tout le monde rêverait d’être aussi bien loti, et surtout elle. Toute cette magie précédemment énoncée, n’est pour elle que rêve, illusion, chimère, utopie. Elle demeure dans la rue auprès de sa mère, qui, pour gagner deux sous, se prostitue. Pendant ce temps, elle part à la conquête de nourriture, dans les poubelles. Bien entendu, elle persiste dans ses rêves, les déchets sont ceux de grands restaurants. Parfois, elle se poste aux feux rouges de grands carrefours. Aux heures de pointes, elle tente d’affecter le cœur des conducteurs. Si son numéro de jeune fille malheureuse abouti, ils lui donnent la permission de nettoyer les vitres de leurs magnifiques voitures en échange d’une ou deux pièces. Ce n’est pas une mince affaire. Beaucoup de chauffeurs l’insultent, ferment la vitre à son approche, ou bien l’ignorent. Néanmoins, elle essaie de conserver son rêve et privilégie une Alfa Roméo si le choix se présente. Dans le meilleur des cas, elle obtient une pièce ou un bonbon, avec en guise de salutation « ma pauvre petite !». Elle déteste cette remarque. Elle aurait voulu avoir une éducation telle que toutes les petites filles de son âge. Elle aurait aimé avoir une mère qui lui prépare de bons petits plats. Elle aurait adoré se mettre sur un canapé et regarder les dessins animés. Au lieu de cela, elle n’a eu aucune éducation, un bon repas elle ne connaît pas. Son canapé se résume à un bout de tissu sous un pont de la Seine. La télévision se limite à celle de la gare qui annonce l’arrivée des trains. Bien sûr, elle aurait pu quitter sa mère, et essayé de vivre son indépendance. Si elle travaillait, elle pourrait se loger, se nourrir convenablement. Mais sans papier d’identité, aucune perspective d’avenir. L’indispensable pour vivre sereinement, sa mère n’avait pas su lui apporter. Dans ces moments de cafards, ses pensées  reviennent toujours au même ; si sa mère avait voulu la rendre heureuse, elle aurait du l’abandonner avant que la situation ne dégénère. Enfant abandonnée, elle aurait été recueillie. Sa famille d’accueil lui aurait alors apporter tout ce dont elle rêvait depuis sa naissance. Aujourd’hui, âgée de dix-huit ans, elle ne connaît rien de la vie. Quitter sa mère maintenant serait intolérable. Malgré tout elle ne voit pas d’avenir heureux. Certainement pauvre jusqu’à la fin de ses jours. Et pourtant, un seul remède existe à sa liberté, l’obtention de ses papiers. C’est étrange, elle est si gentille, pleine de vie, de volonté et elle ne peut pas en profiter. Ces papiers hantent ses rêves. Grâce à eux, elle serait libre et vivrait en toute légalité. Mais ne pouvant pas prouver son identité, elle se trouve exclue de la société. Son éducation se résume à reconnaître les hommes de l’ordre pour les fuir, à trouver des endroits agréables pour dormir, à sympathiser avec les malfrats pour négocier une partie du butin. Même si elle a été élevée dans cette situation, ce n’est pas une vie et elle ne s’y habituera jamais. Elle met alors de côté ses rêves d’appartement luxueux, ses week-ends à la campagne,  sa voiture italienne. Elle ne demande finalement qu’une seule chose : prouver son identité. S’il vous plaît accordez lui le droit d’obtenir des papiers d’identité !



07/04/2011
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